mercredi 26 janvier 2011

Les langues du général

VOICI UNE EMISSION DE FRANCE CULTURE INTITULEE "Les langues du général".


Les langues du Général, émission TIRE TA LANGUE de podcast@radiofrance.com

durée : 00:28:51 - TIRE TA LANGUE - par : Antoine Perraud - Avec Cédric Gruat, pour les langues du Général (Lattès, 2010)

Voici la transcription, par Mafalda, des quinze premières minutes de l'émission :

"Avoir sa propre langue comme un trésor, et pas comme une prison"


Voici comment Alain Peyrefitte, dans "C'était de Gaulle", relate la préparation d'une conférence de presse, en 1963, du fondateur de la Ve république : " il aura passé trois semaines à ne rien faire d'autre que de la préparer. Il s'est mis en loges, à l'Elysée, comme à Colombay : lecture, promenade, écriture d'un canevas détaillé, repromenade, affinement de l'écriture, récitation, correction. C'est, pour lui, une ascèse. L'exercice valait aussi pour les langues dites étrangères. L'allemand lui était la moins étrangère, il l'avait étudiée, cravachant la matière pour le concours de Saint-Cyr, passant tout l'été 1908 Outre-Rhin, la grande guerre lui vaut 32 mois de captivité option allemand à volonté, sans compter Goethe, qu'il lisait dans le texte. Et il devait confier à Peyrefitte "je ne comprends pas l'allemand des Allemands, mais je comprends le vôtre."
En octobre 1962, en voyage officiel en RFA,il salue un colonnel (Oberst) en l'appelant "garçon de café" (Ober); il n'en prononce pas moins 13 discours dans la langue du cru "Parbleu, se vante-t-il l'année suivante auprès du chancelier Adenauer, c'est que je les avais appris par coeur, j'avais écrit mes textes en français, je les avais fait traduire en allemand, et j'ai répété plusieurs fois la traduction".
On retrouve tout cela dans votre livre, Cédric Gruat, paru chez JC Lattès, "les Langues (pluriel) du général". Parmi les chapitres, il en est un, je voudrais citer son titre" tirer la langue" et vous avez mis en exergue, l'extrait d'un article de Robert Escarpit qui occupa longtemps la une du Monde, du 6 octobre 1964 : "le général De Gaulle est le champion de l'identification, les Vénézuélien l'identifiaient à Bolivar, aussi que les Argentins l'identifient à Perone; d'autres, à travers le monde, l'ont identifié à Tito, à Lafayette, à Benbela, à Kroutchev, à Napoléon, à Franco, à Churchill, à Mao, à Nasser, à Frédéric Barberousse, sans oublier Jeanne D'Arc et Georges Clemenceau. C'est le Protée de l'histoire, le Fregoli de la politique, il parle toutes les langues, prend tous les visages, joue tous les rôles."
--S'il écrit ça en octobre 1964, c'est parce que, Cédric Gruat, Escarpit fait référence à une "tournée" (il n'y a pas d'autre mot) une tournée non pas en province, mais dans un continent entier, l'Amérique du sud, n'est-ce pas ?
--Absolument, nous sommes en effet en octobre 1964, et De Gaulle part pour un voyage de presqu'un mois, un véritable marathon en Amérique latine; ce voyage fait suite à son voyage précédent qu'il a effectué au Mexique quelques mois plus tôt, où il s'est justement familiarisé avec la langue espagnole, avec son célèbre discours prononcé sur la place de Mexico, se terminant par la formule célèbre "marchemos la mano en la mano", appel presqu'amoureux au peuple méxicain, et quelques mois plus tard, en effet, il se rend, pour un périple d'un mois, ce qui est exceptionnel, on n'imagine pas aujourd'hui, un président pouvant s'absenter un mois de la France; De Gaulle part un mois en Amérique latine, il visite dix pays, pas moins de dix pays; "tirer la langue c'est le titre du chapitre parce que c'est vrai que c'est un voyage harrassant pour un personnage âgé de 74 ans quand même, hein, et au cours de ce voyage, il prononce plusieurs discours, en langue espagnole, discours qu'il a préparés, bien sûr, en amont, comme le voyage dans son ensemble, voyage qui a été préparé par les services élyséens, ainsi que le service du protocole du quai d'Orsay.

En espagnol : " Mejicanos, traigo a Méjico, el saludo de Francia. Francia saluda (a) Méjico con amistad, Francia saluda (a) Méjico con amistad. Mi país ardiente soberano y libre esta atraído por el vuestro libre, soberano y ardiente. No existe ninguna doctrina, ningún pleito, ningún interés que nos opongan, al contrario, muchas razones nos convidan a acercarnos. He aquí pues lo que el pueblo francés propone al pueblo mejicano marchemos la mano en la mano y viva Mejico !"

--Dans votre livre, Cédric Gruat, vous citez quelques échanges que vous avez dû consulter dans les archives du quai d'Orsay (rappelons que le quai d'Orsay est un des deux ministères avec la Défense qui possède ses propres archives, elles ne sont pas aux archives nationales, et vous avez pu voir la préparation de ce voyage en Amérique latine où on interroge les ambassadeurs de France dans des différents pays sur l'état de connaissance du président de la république, de son épouse, et du ministre des affaires étrangères des pays visités, et c'est pas toujours très brillant, étant donnés les "caudillos" qui règnaient à l'époque, dans le sous-continent américain, vous avez des télégrammes des différents ambassadeurs de France dans ces différents pays, assez croquignolets, que vous citez, toujours avec cette espèce de, d'emphase et de componction en même temps du quai d'Orsay, mais le français n'est pas très connu dans les plus hautes sphères.
--C'est vrai que les archives du quai d'Orsay possèdent des trésors, et quand je m'y suis plongé, je suis tombé sur toute une correspondance, entre les ambassadeurs de France sur place en Amérique latine, et les responsables du protocole au quai d'Orsay, on tombe sur des pépites, et des trésors, j'en cite certains en rapport avec le sujet du livre, et notamment, concernant la question de la langue. C'est un sujet dont on ne parle pas généralement dans les ouvrages d'histoire, or, lors d'un voyage, la question de la langue se pose. Et, ce qui est intéressant, c'est que la présidence de la république était soucieuse de savoir si les chefs d'Etats locaux, maîtrisaient, ou pas, la langue française. Si bien qu'on a des courriers, dans lesquels on découvre que, tel président sud américain parle bien, un peu, ou mal, la langue française, que tel autre la maîtrise correctement, etc.
-- Je voudrais juste citer parce que, j'ai quand même une douce monomanie pour ce télégramme-ci, euh, Bertrand de la Sablière (grande famille de diplomates, embassadeur de France en Colombie), écrit au chef du protocole le 27 août 1964 depuis Bogota " le président de la république colombienne ne parle pas le français, il m'a dit comprendre notre langue ar-ti-cu-lée soi-gneu-se-ment, les connaissances du ministre des relations extérieures sont analogues, virgule, sinon moindres, point." C'est extraordinaire.
--Alors j'en ai une autre que je me permets de citer, c'est un courrier donc adressé donc par l'ambassadeur de France au Pérou, le 14 septembre 1964, il parle donc de Mme Prial, l'épouse du président du sénat, qui sera assise auprès du général De Gaulle lors des repas officiels, et il est ajouté "Mme Prial qui ne s'exprime qu'en espagnol, n'est pas loquace."
--Et donc, le général De Gaulle, expliquez-vous, Cédric Gruat, mettait un point d'honneur à pratiquer ce que seul le Vatican s'efforçait et s'efforce encore de faire, c'est à dire parler au monde, et ne pas parler à un microphone. Parler à toutes les oreilles, s'adresser dans toutes les langues possibles, même si, expliquez-vous, il y a parfois eu des Indiens qui n'ont pas compris l'espagnol non pas parce que c'était celui du général De Gaulle, mais parce que c'était de l'espagnol.
-- C'est sans doute la marque de fabrique du général De Gaulle, une sorte d'habitude, mais plus qu'une habitude, qui consiste à s'exprimer dans la langue du pays lors de ses voyages à l'étranger. C'est donc un effort assez considérable de sa part, ça suscitait un travail préparatoire, ça suscitait un effort de mémorisation important, dans le but de prendre langue avec les peuples visités, mais, pas seulement, il y a évidemment, chez De Gaulle, une dimension politique que j'essaie d'expliquer dans ce livre, au delà de l'aspect anecdotique, hein, qui est celle consistant à s'exprimer en effet dans la langue du pays ça peut paraître quelque peu anecdotique, mais à mon sens cette polyglotie possède un message, un message politique : parler la langue du pays, à mon sens c'est reconnaître l'existence et la souveraineté du pays d'accueil, à travers la langue. C'est donc affirmer un élément central de la vision gaullienne des relations internationales, et de la vision politique tout court qui est l'idée de la primauté de l'idée nationale, la primauté de la souveraineté nationale, la primauté de l'indépendance nationale, bref, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Donc parler la langue du pays c'est donc reconnaître les peuples en question, et les exhorter à s'affirmer, à travers leur langue, dans un contexte, hein, je le rappelle, des années soixante, qui est le contexte de la guerre froide, du monde bipolaire, de l'hégémonie américaine et soviétique, donc c'est un message politique clair et net, qui exhorte les peuples à s'affirmer, à essayer de se libérer de toute ingérance ou de toute influence étrangère. D'où ces discours en espagnol en Amérique latine, ou encore en polonais, lors de son voyage en Pologne en 67, en roumain en 68 : voyage donc dans le bloc soviétique.

(la citation qui tient lieu de titre, prononcée dans le générique de l'émission, est d'Umberto Eco)

BONUS : la vidéo (document INA) où Charles de Gaulle s'adresse au peuple méxicain

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